Le Festival International des Jeux Cannes 2025 vient de clore sa 38ième édition le Dimanche 02 Mars 2025 pour un bilan mitigé, entre succès public et déception créatrice, en voici un bilan...

Avec 110 000 visiteurs enregistrés pour cette 38ᵉ édition malgré une entrée payante, l'un des plus grands festivals ludiques retrouve son attractivité d'antan, après quelques débraillages durant les années COVID.Le public était donc au rendez-vous, tout comme la météo très favorable cette année, ce qui fut une véritable bénédiction pour toute l'organisation des attractions organisées en extérieur. Notamment une très jolie idée de déploiement du festival sur le toit du palais avec fausse pelouse, transats et restos. Un grand labyrinthe inspiré de l'univers d'Alice au pays des merveilles se déployait en trois chemins, du facile au niveau expert, pour les passionnés d'escape games, avec un très joli décor et des animateurs costumés pleins d'énergie !
Tout ceci permettait à chacun, public comme professionnels, de prendre un peu l'air alors que, comme tous les ans, les allées étaient remplies de joueurs le week-end.
Le grand public est effectivement de plus en plus nombreux à découvrir l'univers des jeux de société, démocratisé par les médias et les distributeurs de toute sorte, dont les grandes surfaces, et l'augmentation des boutiques et bars à jeux. C'est une bonne nouvelle. Ce qui pose problème pour ce festival désormais incontournable, puisque j'ai pu entendre la même rengaine plusieurs fois : "Il faut parfois attendre une heure à faire la queue debout pour avoir une table et jouer. On se croirait au parc Disney !" Oui, malheureusement, c'est le revers de la médaille : premier arrivé, premier servi. Les jeux experts en pâtissent, puisque la plupart ont une durée supérieure à une heure, pour certains deux à trois heures ! Il est alors quasiment impossible d'y jouer entièrement. Certains stands préviennent d'avance : "Vous pourrez vous initier au jeu une heure maximum, voire 30 minutes, le temps de la découverte, mais il faudra laisser la place aux gens qui attendent derrière !"
Peut-être faudra-t-il créer bientôt des pass premium ou fast pass, comme dans certains parcs d'attractions !
Côté professionnel, ce n'était pas la grande fête. Bien que les auteurs soient plus nombreux chaque année à tenter leur chance, les soi-disant nouveautés n'en étaient pas vraiment.Tout comme les autres loisirs, le jeu de société souffre d'un véritable désinvestissement des gros éditeurs qui peinent à parier sur des jeux véritablement révolutionnaires. Cette année 2025 est surtout composée de suites, de reboots ou de prequels de jeux célèbres ayant démontré leur pouvoir attractif. On verra donc des suites d'Azul, de Terraforming Mars ou un reboot de Horrified spécial Donjons & Dragons (particulièrement attendu par les fans de la licence pour cette fin d'année 2025).
Attention, cela ne signifie pas que ces jeux soient mauvais ! Les éditeurs de ces licences font de gros efforts pour y mettre de la qualité, et ça se ressent. Certains, comme Azul ou Heat, sont plutôt bien accueillis, mais cela déçoit par le manque d'inventivité, de nouvelles mécaniques qu'on aimerait découvrir dans ce festival. Aucun des professionnels que j'ai croisés ne m'a dit : "Tu as vu celui-là ? Il est incroyable !".
Comme dit plus haut, ce ne sont pas les auteurs qui manquent. La Nuit du Off, qui permet aux créateurs de jeux de tester leurs œuvres auprès du public d'une part et d'essayer de se faire remarquer auprès des professionnels d'autre part, s'étend désormais sur plusieurs nuits, à partir de 20 h jusqu'à l'aube.
Les passionnés et professionnels sont essentiellement présents les deux premières nuits, les suivantes sont souvent envahies par le public, ce qui ne permet pas d'échanger tranquillement entre connaisseurs.

Mon impression est que la plupart des éditeurs ne viennent plus à ces nuits, préférant proposer des rendez-vous au calme, en tête-à-tête, à des auteurs ayant présenté leur jeu par mail. Sauf quelques rares cas d'éditeurs courageux, il n'y a plus vraiment cette magie de la rencontre fortuite des anciennes Nuits du Off où un éditeur découvrait un petit nouveau par hasard, alors que l'auteur lui présentait une idée dessinée sur un coin de nappe du resto de la veille entre deux taches de gras.
Notamment parce que, comme me l'a confié un éditeur, ils ont l'impression d'être dans la fosse aux lions, tous les regards pleins de convoitise se tournant vers eux. D'autre part, une bonne majorité des jeux du Off sont mal conçus et mal présentés. Beaucoup pensent avoir trouvé l'idée de méca miraculeuse alors que ce n'est qu'une manipulation du Monopoly ou du Trivial Pursuit. Il y a un manque de culture ludique assez flagrant.
Depuis 2024, on aura pu voir la montée en puissance des jeux de cartes à collectionner (ou JCC pour les intimes). De grands barnums à l'extérieur du palais présentaient les principaux JCC en vogue, avec souvent des licences puissantes comme Pokémon, One Piece, Star Wars ou Lorcana (Disney).
Il y a quand même le petit nouveau : Altered, JCC français conçu par l'équipe de Régis Bonnessée (Libellud), et qui a cartonné avec son Kickstarter à plus de 6 millions d'euros en janvier dernier, dans un univers fantasy complètement inventé.
C'est aussi un peu la frayeur de certains professionnels : que le jeu de cartes envahisse la création ludique et qu'on ne voie plus que ça dans les années à venir. En effet, le jeu As d'or de l'année est un jeu de cartes : Odin, tout comme le jeu As d'or initié : Behind. Le public est évidemment sensible aux labels, tout comme les professionnels, qui se tourneront plus aisément vers un style de jeu à la mode plutôt qu'un autre, mais ce n'est pas nouveau. Les jeux de cartes envahiront les étals jusqu'au jour où le public en aura assez, où un As d'or récompensera un autre type, où le prix d'une figurine en plastique sera moins cher que le prix de l'impression d'une carte, etc. Beaucoup de critères influencent le monde du jeu.

Si l'on revient un peu sur la récompense des As d'or, qui, cette année encore, a été très chahutée par les professionnels. Certains crient au scandale quand d'autres applaudissent le choix. Comme toujours, les rumeurs de copinage circulent, quand d'autres accusent le jury d'encourager des choix "grand public" et non des performances créatrices. Le "râlage" est un sport de haute compétition dans le milieu pro ludique ! Être jury des As d'or est loin d'être de tout repos.
Pour ma part, je remercierai le jury d'avoir eu la patience et la persévérance de jouer pendant plusieurs semaines pour essayer de choisir parmi les plus de 1000 jeux édités par an. Une performance loin d'être anodine. Le but de ce label des As d'or est surtout d'encourager le grand public, encore nombreux, à s'intéresser aux nouveaux jeux de société et à sortir un peu des éternels Uno et Petits Chevaux.
Une fois le seuil passé, un univers attend ce nouveau public et c'est ensuite que du bonheur d'aller farfouiller chez les centaines d'éditeurs pour découvrir par soi-même des perles d'inventivité, ou de pousser la porte des bars à jeux. Pas besoin d'un As d'or, les vrais savent...
Enfin, quelques mots sur un de mes endroits préférés : le secteur du jeu de rôle et du grandeur nature. Passer du -1 au premier étage leur a permis d'avoir plus d'espace, d'être plus en adéquation avec les activités extérieures et d'être moins envahis par le brouhaha du public (et quand on masterise une table de JDR, c'est important pour l'ambiance). Mais d'un autre côté, ils sont moins immergés dans le grand public, alors qu'être au -1, au milieu des jeux de société, leur permettait de faire découvrir ce monde incroyable de créativité.
Le grand public, peu adepte de cet univers, passe avec de grands yeux, peut-être légèrement effrayé, devant les magnifiques images de Cthulhu, les costumes de guerriers et les potions fantasy, sans trop s'arrêter. Le démon sectaire reste encore ancré dans les têtes, alors qu'il n'y a sans doute rien de plus sociable que les jeux de rôle et les grandeurs nature.
Cependant, le jeu de rôle a le vent en poupe depuis quelque temps, notamment grâce à de grosses licences comme Alien ou Dune, qui permettent d'attirer un nouveau public curieux de tester. Les nombreuses tables de Hasbro, Magic ou d'initiation aux jeux de rôle ont été prises d'assaut, ce qui est plutôt encourageant pour le secteur.
Avec ses 60 000 m² de jeux, 350 stands et plus de 400 auteurs présents, le FIJ 2025 reste toujours un bon cru, malgré l'absence de l'effet waouh d'un jeu auprès des professionnels, prouvant encore une fois que l'industrie ludique française a de beaux jours devant lui. A l'année prochaine pour de nouvelles aventures FIJiesques !
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